• OGM : des aliments mutants au menu

     

    Vanessa Nonat (Sciences humaines)

    En 1973, on a pour la première fois franchi les barrières entre les espèces lorsque des scientifiques américains ont réussi à mettre au monde une molécule d’ADN hybride, rejeton d’un singe et d’une bactérie. L’on a alors transformé irrémédiablement le cours historique du monde et des choses. Depuis, les cultures transgéniques connaissent une expansion fulgurante. En effet, les nouvelles variétés agricoles porteuses de gênes greffés sont au coeur d’un des débat les plus virulents qui marqueront les dix prochaines années. Les organismes génétiquement modifiés appelé aussi OGM risquent même de déclencher une guerre commerciale sans précédent entre l’Europe et l’Amérique.  Les organismes génétiquement modifiés sont loin de faire l’unanimité. En fait, le génie génétique suscite autant d’espoirs que de craintes. Mise au point dans les laboratoires des grandes fermes et lancées en catimini sur le marché voilà moins de quatre ans, les plantes à l’ADN modifié sont en train de bouleverser l’industrie agro-alimentaire ainsi que la vie des sociétés. L’expérimentation des organismes génétiquement modifiés pose des problèmes sur les plans politiques,  économiques et sociaux. De nouveaux dangers liés à la rupture de la barrière d’espèces, des risques écologiques, ainsi que des risques alimentaire ont créée une peur incontrôlée dans la société, une peur de l’inconnu qui a modifié la vie des sociétés ainsi que le cours des choses.

    Les origines de la transgénèse

    Les dangers présentés par les OGM doivent s’apprécier en tenant compte du caractère très récent des développements de la transgénèse. Ce que la nature a mis plusieurs d’années à construire, des hommes sont prêts à le défaire en quelques années. La structure de l’ADN, support moléculaire de l’hérédité, n’est connue que depuis 1953. Les enzymes de restriction, ces sortes de cristaux chimiques permettant de couper des portions d’ADN et de les insérer dans l’ADN d’un autre organisme, n’ont été découvertes que dans les années 70. Enfin, la première plante transgénique a été créée il y a quinze ans seulement, et la première commercialisation d’une plante transgénique date de 1994. En dépit de l’imperfection des connaissances en génie moléculaire, et de l’impact potentiel des disséminations de ces plantes manipulées, dans aucune autre discipline que le génie génétique les applications commerciales ne suivent-elle d’aussi près les découvertes scientifiques, qui deviennent le baromètre de la santé des multinationales à la bourse. L’opposition face aux OGM est grandissante, particulièrement en Europe où l’on s’interroge sur la commercialisation des produits génétiquement modifiés.  Depuis 1996, avec la campagne internationale de Greenpeace contre la commercialisation d’OGM dans le domaine de l’alimentation et leur dissémination dans l’environnement, l’on tente de démontrer l’effet nocif de ces aliments transgéniques.  Ces groupes de pression réclament aussi le droit à l’étiquetage.

    Des inquiétudes multiples

    Ce sont tout d’abord, les risques pour la santé humaine qui suscitent les plus vives inquiétudes.  De nouvelles allergies font leur apparition. En effet cette crainte résulte du peu de fiabilité qu’on accorde aux tests faits en laboratoire. Les risques d’allergie sont plus grands car des organismes auxquels l’on a ajouté des gênes n’entrent pas dans la consommation alimentaire usuelle. La présence d’antibiotiques dans les OGM suscitent elle aussi beaucoup de craintes. En effet, la dissémination de gênes de résistance aux antibiotiques à partir des plantes transgéniques peut entraîner l’apparition de bactéries pathogènes contre lesquels les antibiotiques seraient impuissants.  Ce serait dévastateur si l’on considère que les antibiotiques sont les seules armes que nous possédons contre ces bactéries, que la recherche n’arrive pas à trouver de nouvelles molécules efficaces et que les maladies hospitalières liées aux résistances aux antibiotiques font 10 000 victimes par année.

    Il existe également, de nombreuses craintes relatives aux impacts écologiques et sanitaires des plantes transgéniques. D’abord, il y a une pollution accrue de l’environnement, c’est-à-dire qu’un gêne introduit dans la plante rend la plante tolérante à un herbicide dévastateur. Étant devenue tolérante à l’herbicide, la plante transgénique, permet d’augmenter les doses de ce produit, ce qui entraîne alors une pollution accrue des sols et des nappes phréatiques. Cela améliore la rentabilité des firmes agrochimiques au détriment de l’environnement et de la santé humaine.

    Les risques d’implantation d’une plante en dehors de son écosystème naturel sont aussi présents. Les mécanismes naturels de l’évolution ont amené chaque espèce à évoluer dans un écosystème particulier, c’est-à-dire en interaction avec une flore et une faune déterminées, dans des contextes géologiques et climatiques donnés. Implanter une espèce en dehors de son contexte originel conduit très souvent à des catastrophes écologiques. Les plantes transgéniques ont pour but de mieux résister aux prédateurs ou aux parasites naturels, ce qui leur confère un avantage comparatif par rapport aux variétés naturelles locales et risque de conduire à la disparition de ces dernières et donc un appauvrissement de la biodiversité. Cette situation est alarmante d’autant plus que ce sont ces variétés locales qui fournissent les ressources génétiques nécessaires pour améliorer les plantes cultivées. Il ne faut pas oublier le danger économique que représenterait la dépendance du monde agricole vis-à-vis d’une multinationale unique pour son approvisionnement en semences de maïs ou de colza. Ensuite, l’extension aux espèces voisines est un des risques écologiques. En fait, le flux des gênes, le fait que les plantes cultivées échangent, par croisement spontanés, leurs gênes avec les espèces sauvages apparentées, qui sont souvent de mauvaises herbes, génère une pollution génétique qui, contrairement à la pollution chimique ou radioactive, est totalement irréversible. Il est impossible de rapporter au laboratoire un gène qui se serait échappé de la plante génétiquement modifiée. De plus, il y a acquisition d’une résistance par les insectes. En effet la plante transgénique produit une toxine continuellement. L’insecte étant en contact avec cet insecticide de façon permanente, y devient résistant. L’on doit alors recourir soit aux insecticides toxiques, qui augmentent par le fait même la pollution des sols et des eaux, soit à de nouvelles plantes transgéniques.

    Les plantes transgéniques conduiront aussi à la perte de l’agriculture biologique, cette toxine d’origine bactérienne étant l’un des seuls insecticides autorisés dans les cahiers de charges de l’agriculture biologique. Enfin, les plantes contenants des vaccins sont disséminées dans la nature et transmettent leurs gênes à d’autres organismes vivants.  On ne sait pas comment y réagiront certaines espèces, et ces vaccins présents en trop grandes quantité dans la nature, deviennent inopérants.

    Par ailleurs, à la vitesse à laquelle évoluent ces sciences, qui jouent avec les mécanismes fondamentaux de la vie, il est à craindre que l’on voit disparaître la notion d’espèce. On ne parlera plus de colza ou de maïs, mais d’organisme producteur de telle ou telle molécule. Il est également possible que l’on voit apparaître une perte de spécificité agricole. L’agriculture intensive produit déjà des légumes ayant de moins en moins de goût, car les critères de sélection des espèces sont dictés par des impératifs industriels. Il y a fort à craindre que les manipulations génétiques ne donnent un formidable coût d’accélérateur à ce processus.

    Enfin, dans un avenir proche, les légumes seront peut-être produits dans des usines, en l’absence de toute terre, ce qui commence déjà à se faire. La différence entre paysans et ouvriers va s’estomper, l’agriculteur devenant un ouvrier spécialisé dans la production de substances nutritives et pharmaceutiques. Outre le fait que les aliments produits auront moins de qualités gustatives, c’est tout le savoir-faire des paysans que l’on risque de perdre, basé sur des décennies d’observations et transmis au fil des générations. La conception des OGM pose aussi de plus en plus de problèmes éthiques. Nous interférons avec les mécanismes de la vie. Pendant que des chercheurs arrêtent leurs recherches d’autres semblent beaucoup plus préoccupés par les profits qu’ils peuvent retirer de leurs travaux que par ces considérations philosophiques.

    En conclusion, l’apparition des OGM a bouleversé le déroulement de l’histoire. Les OGM sont des produits manufacturés par l’homme. Grâce au génie génétique, nous avons construits des organismes qui n’auraient jamais existé dans la nature et dont le comportement est imprévisible. Jusqu’à l’avènement du génie génétique, l’amélioration des plantes, qui est en soi quelque chose de tout à fait légitime, respectait ce que nous appelons “l’ordre de la nature”, puisqu’elle était contrainte par la reproduction sexuée des plantes et par la notion d’espèce. La manipulation génétique n’a en ce sens rien avoir avec un simple croisement, elle représente un saut qualificatif radical puisqu’elle permet de s’affranchir de la barrière d’espèce. Cette inquiétude face à cette manipulation génétique a transformé la société. Les dangers qui menacent la société et le développement rapide des OGM pourraient constituer l’essentiel de l’agriculture de demain. L’ignorance des consommateurs face à ces denrées qui sont sur le marché depuis quatre ans et qui présentent un grave danger pour notre santé et celle des générations futures démontre en fait l’importance et l’impact des OGM qui sont une partie intégrante de notre histoire. Et cela à notre insu.

     

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